Le 8 mars, Journée internationale des Droits des Femmes, célèbre celles qui, à travers le monde, brisent les barrières et façonnent l’avenir. Au moment où, certaines militent pour leurs droits, d’autres se battent pour préserver l’histoire. Sagal Rachid, elle, fait les deux. Archiviste et restauratrice, elle défend avec passion la préservation du patrimoine documentaire africain.
Elle fait partie de cette nouvelle génération de femmes qui refusent de voir disparaître la mémoire de leur peuple. Dans un secteur encore marqué par des stéréotypes, les femmes archivistes jouent un rôle clé dans la transmission de la mémoire collective.
À travers cette interview, Sagal Rachid nous partage son parcours, ses défis et sa vision pour l’avenir des archives africaines. Rencontre avec une femme qui ne se contente pas de classer l’histoire, mais qui la sauve et la façonne pour les générations futures.

Qu’est-ce qui vous a menée vers les archives et la documentation ?
Petite, je me voyais informaticienne, fascinée par la technologie et les systèmes d’information. Naturellement, j’ai suivi un baccalauréat en Gestion des Systèmes d’Information, décrochant la première place nationale et une bourse d’études au Maroc.
À cette époque, Djibouti amorçait un projet ambitieux : structurer et préserver sa mémoire nationale à travers ses Archives nationales. Pour répondre à ce besoin, une nouvelle génération de spécialistes devait être formée.
Mon parcours a alors pris un tournant inattendu. J’ai intégré l’École des Sciences de l’Information à Rabat pour me former au métier d’archiviste. J’y ai découvert un univers insoupçonné : celui des archives et de la préservation du patrimoine documentaire africain.
Ce qui, au départ, semblait être une simple opportunité académique s’est rapidement transformée en une véritable vocation. Les archives ne sont pas de simples documents rangés dans des cartons poussiéreux. Elles constituent un pont entre le passé et l’avenir, un outil essentiel pour la transmission de l’histoire et de l’identité d’un peuple.
Chaque document raconte une histoire, chaque archive est une pièce du puzzle qui éclaire notre compréhension du monde.
Aujourd’hui, mon rôle va bien au-delà de la gestion des archives patrimoniales. Je veux éveiller les consciences, sensibiliser les institutions et le grand public à l’importance de la préservation de la mémoire collective.
L’Afrique a un immense patrimoine documentaire, mais tant de ses trésors sont encore méconnus, négligés ou dispersés. Mon engagement est de contribuer à leur sauvegarde et à leur valorisation, pour que notre histoire ne soit plus racontée par d’autres, mais par nous-mêmes.
Quelles sont les étapes clés de votre carrière en tant qu’archiviste et restauratrice ?
Mon aventure dans le monde des archives et de la préservation du patrimoine documentaire africain a véritablement pris son envol au Maroc.
Un parcours marqué par l’excellence et la transmission
Lors de ma formation, j’ai eu la chance de me spécialiser en restauration du patrimoine manuscrit au sein du Laboratoire de Restauration de la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc.
Cette immersion m’a ouvert les yeux sur les défis de la conservation des documents anciens. Ils sont souvent menacés par le temps, le climat et le manque de ressources adaptées. À mon retour à Djibouti, j’ai intégré le centre documentaire de l’Université de Djibouti en tant que documentaliste-archiviste.
À la suite, j’ai rejoint la Caisse Nationale de Sécurité Sociale pour participer à son ambitieux projet de numérisation des archives. Cette expérience a renforcé ma conviction que la numérisation est un levier essentiel pour assurer la pérennité du patrimoine documentaire africain. Elle permet de le protéger des risques de dégradation tout en facilitant son accessibilité.
Parallèlement, mon engagement pour la valorisation du patrimoine documentaire m’a mené vers une nouvelle mission. Celui du commissariat d’exposition pour plusieurs événements thématiques mettant en lumière l’histoire de Djibouti. Chaque exposition était une occasion de montrer que les archives ne sont pas seulement des outils de gestion. Elles sont des trésors culturels à transmettre aux générations futures.
Un tournant majeur de ma carrière a été mon détachement aux archives de la Présidence de Djibouti. Là, j’ai été confrontée à des défis de taille en restauration et conservation notamment avec les Journaux officiels de la République de Djibouti.
Leur état de dégradation nécessitait une intervention minutieuse et des techniques avancées de restauration des documents historiques. Cette mission a été une véritable école d’excellence et un engagement fort pour sauvegarder un pan essentiel de la mémoire institutionnelle du pays.
Former, transmettre et faire rayonner la mémoire africaine
Transmettre mon savoir est également une mission qui me tient à cœur. J’ai eu l’opportunité de former le personnel de plusieurs institutions aux bonnes pratiques archivistiques. Je continue toutefois à me perfectionner. Je poursuis actuellement un diplôme universitaire en sciences des archives à l’École nationale des chartes. Tout comme Amina BENSELLAM, j’ai suivi le Stage Technique International en Archives (STIA) à l’Institut National du Patrimoine à Paris.
Enfin, ma récente sélection parmi les 20 experts du futur Centre d’Expertise Mémoire du Monde en Afrique de l’UNESCO est une reconnaissance de mon engagement. Ce projet ambitieux vise à faire de l’Afrique un acteur majeur de la préservation et de la valorisation du patrimoine documentaire mondial. C’est une immense fierté, mais aussi une responsabilité. Celle de contribuer à ancrer durablement la culture de la conservation et de la transmission de la mémoire en Afrique.
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Une figure ou un événement qui vous a inspirée dans la préservation du patrimoine documentaire africain ?
Avant même que je ne découvre ma vocation d’archiviste, une femme, sans le savoir, m’avait déjà transmis l’essence même de la préservation de la mémoire : ma mère.
Dans notre maison, rien ne se perdait, tout était classé avec une rigueur impressionnante. Factures, cahiers d’école, lettres, documents administratifs : chaque élément avait une place, une histoire, une importance. Elle ne voyait pas ces papiers comme de simples souvenirs, mais comme des fragments de vie qu’il fallait protéger.
Dès mon plus jeune âge, j’ai été témoin de cette obsession du rangement structuré. Tout était archivé, trié par année, par enfant, comme si elle savait déjà que chaque document deviendrait une capsule temporelle précieuse. Aujourd’hui encore, elle applique la même rigueur dans l’univers numérique, remplissant des disques durs entiers de photos et de documents soigneusement classés et annotés.
Avec ses 40 ans de carrière dans l’Éducation nationale de Djibouti, ma mère a elle-même constitué une archive vivante de l’évolution du système éducatif du pays. Elle m’a toujours répété que rien ne devait être jeté. Ce qui semble anodin aujourd’hui pourrait devenir une ressource précieuse demain.
C’est une philosophie qui guide mon engagement. Préserver les archives, c’est bien plus qu’un acte administratif, c’est sauvegarder l’histoire et l’identité d’un peuple. À travers elle, j’ai compris que la mémoire ne doit jamais être laissée au hasard, qu’elle doit être protégée, organisée et transmise avec soin.
C’est cette prise de conscience qui m’anime dans mon travail quotidien. Chaque document que je restaure, chaque archive que je numérise ou classe, je le fais avec la même rigueur et la même vision que celle qui m’a été inculquée depuis l’enfance.
Aujourd’hui, je réalise que mon engagement est le prolongement naturel de cette transmission familiale. Ce n’est pas seulement une profession, c’est une mission, celle d’empêcher l’oubli.
Pourquoi la préservation du patrimoine documentaire africain est-elle essentielle ?
L’Afrique est le berceau de l’humanité, un continent d’une richesse historique inestimable. Pourtant, notre avenir repose sur notre capacité à nous réconcilier avec notre passé. Cela n’est possible qu’en retrouvant et en préservant nos archives.
Djibouti, comme beaucoup d’autres nations africaines, se trouve face à un paradoxe : une histoire riche, mais une mémoire en danger. Nous avons longtemps privilégié la transmission orale, incarnée par les griots, véritables gardiens de la mémoire collective.
Mais cette tradition, aussi précieuse soit-elle, est fragile. Comme le dit l’adage : « Lorsqu’un vieillard meurt, une bibliothèque s’éteint. » Sans archives, sans traces écrites et documentées, une partie de notre passé disparaît à jamais.
Un autre défi majeur est la dispersion des archives africaines à travers le monde, souvent héritées de la colonisation. Des pans entiers de notre histoire sont conservés dans des institutions étrangères, privant nos peuples de leur droit légitime à connaître leur passé. Le rapatriement et la réappropriation de ces documents sont des enjeux cruciaux pour reconstruire notre récit national et continental.
Préserver nos archives, c’est aussi préserver notre souveraineté. Un pays sans mémoire structurée est vulnérable, car il ne peut pas revendiquer pleinement son histoire ni construire un avenir éclairé par les leçons du passé.
Les archives sont un outil fondamental pour la gouvernance, la justice et le développement. Elles permettent de retracer les décisions, de documenter les droits des citoyens et d’assurer la transparence des institutions.
Djibouti, par sa position stratégique et son ambition en matière de conservation du patrimoine documentaire, peut devenir un modèle en Afrique. Nous avons le devoir de prendre conscience de la valeur de notre patrimoine et d’investir dans sa préservation. Il ne s’agit pas seulement de sauver des documents, mais de sauvegarder l’âme et l’histoire d’un peuple.

Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels sont confrontées les archives djiboutiennes aujourd’hui ?
Djibouti, comme de nombreux pays africains, prend de plus en plus conscience de l’importance de la préservation du patrimoine documentaire africain. Pourtant, les défis restent immenses, freinant encore la gestion efficace et durable de nos archives.
L’un des premiers obstacles est le déficit de formation et de reconnaissance du métier d’archiviste. Trop souvent, les services d’archives sont perçus comme de simples lieux de stockage. Le métier d’archiviste est encore considéré comme une voie de reclassement plutôt qu’une spécialisation stratégique.
En outre, Djibouti fait face à un climat aride, marqué par une chaleur intense et des vents de khamsin chargés de poussière. Ces conditions accélèrent la détérioration des documents, compromettant leur conservation à long terme. Sans infrastructures adaptées et des systèmes de régulation climatique efficaces, les archives subissent des dommages irréversibles.
Avec les enjeux climatiques actuels, il est essentiel de repenser les stratégies de conservation des archives dans une perspective écoresponsable. Comment garantir des conditions optimales sans utiliser une climatisation excessive et énergivore ? Trouver un équilibre entre la protection des archives et le respect des impératifs environnementaux est un défi incontournable pour l’avenir.
Si ces défis sont nombreux, ils ne sont pas insurmontables. Djibouti a l’opportunité de devenir un modèle en Afrique en mettant sur la formation, les infrastructures modernes et la digitalisation. La préservation des archives est bien plus qu’une simple question de conservation. C’est une responsabilité collective, un enjeu de souveraineté et un levier de développement.
Comment voyez-vous l’évolution du métier d’archiviste avec la digitalisation et les nouvelles technologies ?
Le métier d’archiviste connaît une transformation profonde avec l’essor de la numérisation et des nouvelles technologies. Autrefois perçu comme une profession de l’ombre, centré sur le classement et la conservation physique des documents, l’archiviste devient aujourd’hui un acteur clé de la gestion de l’information numérique et de la valorisation du patrimoine documentaire.
Personnellement, je perçois cette évolution comme une opportunité majeure plutôt qu’une menace. Si la numérisation facilite l’accès aux documents et leur préservation, elle ne remplace pas les fondamentaux du métier :
- la gestion,
- la conservation,
- et la transmission du patrimoine documentaire.
Face aux défis de conservation, notamment en raison des conditions climatiques extrêmes en Afrique, la numérisation s’impose comme une solution incontournable. Elle permet non seulement de protéger les documents physiques de l’usure du temps, mais aussi de faciliter leur accès aux chercheurs, aux citoyens et aux institutions.
L’archiviste est devenu aujourd’hui un expert en gestion numérique de l’information maîtrisant :
- les logiciels d’archivage électronique,
- les bases de données documentaires,
- et les outils d’indexation avancés.
L’intelligence artificielle et les algorithmes d’apprentissage automatique révolutionnent également le secteur. Ils facilitent l’organisation et la recherche d’informations dans des masses documentaires toujours plus grandes. Mais ils nécessitent toujours l’expertise humaine pour interpréter, contextualiser et garantir l’authenticité des données.
Si la numérisation offre de nombreux avantages, elle pose aussi des problématiques de conservation à long terme. Contrairement aux idées reçues, le numérique n’est pas inaltérable : fichiers obsolètes, pertes de données, cyberattaques… Les archivistes doivent alors garantir l’authenticité, l’intégrité et la pérennité des documents numériques. Ils doivent mettre en place des politiques de migration et de sauvegarde régulières.
Le défi est donc de trouver un équilibre entre innovation technologique et savoir-faire archivistique. La gestion des archives numériques et la cybersécurité nécessitent une formation pointue, adaptée aux réalités du continent.
Y a-t-il un projet ou une initiative dont vous êtes particulièrement fière ?
Lorsqu’on parle de préservation du patrimoine documentaire africain, on imagine souvent des livres anciens ou des manuscrits rares. Pourtant, l’un des projets dont je suis la plus fière concerne un document bien plus institutionnel, mais tout aussi essentiel. Il s’agit de la restauration des Journaux officiels de la République de Djibouti.
Ce projet est une initiative d’envergure continentale, menée en collaboration avec la plateforme e-JO. Cette dernière vise à numériser et rendre accessible l’ensemble des publications officielles du pays. Ces archives sont bien plus que de simples textes administratifs. Elles racontent l’histoire politique, économique et législative de Djibouti. Chaque décret, chaque loi, chaque annonce y est consigné, formant ainsi une mémoire institutionnelle indispensable.
À travers cette mission, j’ai pu mettre à profit mes compétences en restauration et conservation des documents historiques. J’ai travaillé sur des supports fragilisés par le temps et les conditions climatiques. Ce fut un travail minutieux, mêlant expertise technique et engagement profond pour la sauvegarde de notre patrimoine documentaire.
Par ailleurs, je veux aussi sensibiliser et transmettre. C’est dans cet esprit que j’ai fondé DjibArchives, le premier magazine spécialisé dans l’archivistique à Djibouti. À travers cette plateforme, mon objectif est de mettre en lumière les initiatives locales, les défis du secteur et l’importance des archives dans la construction de notre identité nationale.
Aujourd’hui, en tant que membre du futur Centre d’Expertise Mémoire du Monde en Afrique de l’UNESCO, je mesure à quel point ces initiatives ne sont pas seulement locales. Elles s’inscrivent dans un mouvement plus large : celui d’une Afrique qui prend en main son histoire et son patrimoine documentaire.
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Les femmes ont-elles toute leur place dans le domaine des archives et de la documentation ? Quels défis avez-vous rencontrés en tant que femme ?
Les femmes ont-elles leur place dans le domaine des archives et de la documentation ? Bien sûr ! Nous avons toujours été des gardiennes de la mémoire, que ce soit dans les foyers, les traditions orales ou aujourd’hui dans les institutions. Pourtant, ce secteur, comme tant d’autres, reste marqué par des préjugés et des stéréotypes bien ancrés.
Les gens perçoivent l’’archivistique comme une discipline austère, exigeant :
- force physique ;
- endurance
- et travail dans des environnements parfois difficiles (poussière, documents fragiles, locaux non adaptés).
Il n’est pas rare d’entendre que ce métier convient davantage aux hommes. Mais qu’est-ce qu’un carton d’archives face à une femme capable de porter la vie ? Si nous sommes capables de porter un être humain pendant neuf mois, alors quelques cartons ne vont certainement pas nous arrêter, surtout lorsqu’on exerce ce métier par passion !
Cette vision dépassée ne tient pas compte des véritables compétences requises : rigueur, patience, méthodologie et capacité d’analyse, des qualités que les femmes peuvent en abondance.
Le véritable défi n’est pas de prouver que nous avons notre place, mais de déconstruire ces stéréotypes et de faire reconnaître notre expertise à sa juste valeur.

Avez-vous déjà dû faire face à des préjugés ou des obstacles liés au genre dans votre parcours professionnel ?
Comme beaucoup de femmes évoluant dans des domaines perçus comme techniques ou exigeants physiquement, j’ai dû faire face à des préjugés et des obstacles liés à mon genre.
L’archivistique, bien qu’essentielle pour la préservation du patrimoine documentaire africain, reste un secteur où les idées reçues persistantes. On imagine souvent l’archiviste comme une figure austère, plongée dans des montagnes de documents poussiéreux, dans un environnement difficile d’accès. Ajoutez à cela le fait d’être une femme, et les doutes sur votre légitimité se multiplient.
« Êtes-vous sûre que ce métier est fait pour vous ? »
Dès mes débuts, j’ai été confrontée à des remarques implicites ou directes, me questionnant sur ma capacité à gérer des archives dans des conditions exigeantes. « Ce travail est physique, il faut porter des cartons, manipuler des documents fragiles, est-ce vraiment un métier pour une femme ? ».
Un autre défi majeur a été l’accès aux responsabilités et la reconnaissance de mon expertise. Comme dans de nombreux secteurs, les femmes doivent souvent prouver deux fois plus leur valeur pour être écoutées et prises au sérieux.
Il m’est arrivé d’être dans des réunions où, malgré mes qualifications et mon expérience, mon avis n’était pas immédiatement considéré au même niveau que celui de mes collègues masculins.
Mais au lieu de me laisser freiner par ces barrières invisibles, j’ai fait de ma compétence mon meilleur argument. À force de travail, de résultats concrets et d’engagement, j’ai démontré que la place d’une femme dans ce domaine ne se discute pas : elle s’impose.
Aujourd’hui, mon parcours me permet d’envoyer un message clair aux femmes qui hésitent à se lancer. « N’écoutez pas ceux qui doutent de vous. Prouvez par vos actions que vous avez votre place. Prenez l’espace, imposez votre voix et faites en sorte que votre expertise parle pour vous. »
Quel message adresseriez-vous aux jeunes femmes intéressées par les métiers de l’information et de la documentation ?
À toutes les jeunes femmes qui hésitent encore, je veux vous dire une chose essentielle. Votre place est là où votre passion vous mène. Les métiers de l’information, de la documentation et de la préservation du patrimoine documentaire africain sont bien plus qu’un travail administratif. Ils sont une mission essentielle pour la transmission de la mémoire collective.
Au-delà de ma propre expérience, je suis convaincue que les archives jouent un rôle clé dans l’autonomisation des femmes en Afrique. Elles permettent de retracer leurs contributions à l’histoire, de documenter leurs luttes et d’assurer qu’elles ne soient pas effacées des récits officiels.
C’est pourquoi nous devons encourager plus de femmes à rejoindre ce métier. Chères sœurs, nous avons besoin de plus de femmes archivistes, documentalistes et conservatrices pour valoriser et protéger le patrimoine africain. L’accès aux archives est un enjeu de souveraineté, de gouvernance et de transparence. Il est essentiel que les femmes jouent un rôle de premier plan.
Nous devons aussi veiller à ce que les archives elles-mêmes transmettent la diversité des voix et des parcours féminins.
En cette journée du 8 mars, j’encourage toutes celles qui hésitent encore. N’ayez pas peur d’entrer dans ce domaine. Votre voix, votre regard et votre engagement sont essentiels. L’histoire a besoin de vous pour être écrite, conservée et transmise.
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Quel est votre rêve pour l’avenir de la préservation du patrimoine documentaire africain ?
Mon rêve ? Une Afrique qui prend pleinement possession de son histoire, qui ne laisse plus sa mémoire s’effacer. Aujourd’hui, trop de documents historiques et administratifs africains se trouvent dans des institutions étrangères, loin des peuples qu’ils concernent.
La préservation du patrimoine documentaire africain est une question de souveraineté : nous devons récupérer, protéger et valoriser nos propres archives. Je rêve d’un continent où les archives sont perçues comme un levier de développement. Je rêve d’une Afrique où elles ne sont plus considérées comme de simples stocks de documents oubliés dans des salles poussiéreuses. Dans mes rêves, j’appréhende que les archives soient perçues comme une ressource stratégique pour la gouvernance, la recherche et l’identité culturelle.
Cela passe par des politiques de conservation modernes, une numérisation massive et des infrastructures adaptées à nos réalités climatiques. Cela passe aussi par des formations adaptées aux réalités africaines, garantissant une professionnalisation du secteur. Les institutions doivent prendre conscience de leur rôle stratégique.
Enfin, mon rêve est aussi que les jeunes générations comprennent que préserver les archives, c’est préserver leur avenir. Nous devons inculquer aux citoyens africains l’idée que l’accès aux archives est un droit, une clé pour mieux comprendre le passé et construire un futur éclairé.
Les archives ne sont pas qu’un héritage du passé, elles sont une fondation pour l’avenir. Et cet avenir, nous devons le construire ensemble.
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Quel message adresseriez-vous aux institutions et aux décideurs politiques pour améliorer la gestion et la valorisation des archives ?
Les archives ne sont pas un enjeu secondaire, elles sont un pilier essentiel de la gouvernance, de la transparence et du développement. Pourtant, elles restent souvent sous-financées et mal exploitées, perçues comme une simple contrainte administrative plutôt qu’un levier stratégique.
Mon premier appel aux décideurs est simple : recrutez des professionnels qualifiés. La gestion des archives patrimoniales ne s’improvise pas ; elle exige des compétences spécifiques. Sans experts, pas de mémoire collective fiable, pas de traçabilité, pas d’histoire préservée.
Ensuite, il est urgent d’investir dans des infrastructures adaptées. Les services d’archives fonctionnent souvent avec des ressources dérisoires. À Djibouti comme ailleurs en Afrique, les conditions accélèrent la dégradation des documents climatiques. Trop d’archives font encore objet de stockage dans des bâtiments inadaptés.
Sans moyens financiers et matériels suffisants, comment assurer la conservation et la transmission de notre patrimoine documentaire ? Il est temps de changer notre perception des archives. Elles ne doivent plus être reléguées à de simples espaces de stockage, mais intégrées aux stratégies de développement, de gouvernance et d’éducation.
Un pays qui ne protège pas ses archives, c’est un pays qui se prive de son passé et compromet son avenir.
Je lance un appel aux institutions : donner aux archives la place qu’elles méritent. Investissez dans leur préservation, formez des experts. Comprenez que la mémoire d’un pays est un bien commun inestimable, qu’il est de notre responsabilité de sauvegarder.
En cette Journée internationale des Droits des Femmes, quel message souhaitez-vous adresser aux femmes qui comme vous œuvrent pour la préservation du patrimoine documentaire africain et la transmission de la mémoire ?
En cette Journée internationale des Droits des Femmes, je veux rendre hommage à toutes celles qui, dans l’ombre des archives et des bibliothèques, travaillent chaque jour à préserver notre mémoire collective.
Nous sommes trop peu nombreuses dans ce domaine, mais notre rôle est essentiel. Nous sauvegardons l’histoire pour que les générations futures connaissent leurs racines. Être une femme dans l’archivistique, c’est aussi un combat.
Nous devons encore prouver notre légitimité, nous imposer dans des espaces où notre expertise est parfois sous-estimée. Mais nous avons les compétences, la vision et la détermination pour faire évoluer ce secteur et le hisser à la place qu’il mérite.
Continuons à faire entendre nos voix, à valoriser notre métier et à inspirer d’autres femmes à rejoindre cette mission noble. Ensemble, faisons en sorte que la mémoire de l’Afrique soit protégée et portée par celles qui, comme nous, en comprennent toute la valeur.
Bonne fête à toutes les gardiennes de la mémoire.
Quand le continent africain saura l’importance des archives.