Lat Sakhewar Diop : sa vision pour moderniser les Archives nationales du Sénégal et bâtir une mémoire souveraine

“Et si l’avenir d’un pays se jouait aussi dans les couloirs silencieux de ses archives ?”
Le Sénégal amorce une transformation historique avec à sa tête une nouvelle génération de dirigeants. Dans ce contexte, les Archives nationales du Sénégal représentent un levier stratégique de souveraineté, de transparence et de mémoire collective.

À leur tête depuis mars 2025, le Dr Mohamed Lat Sakhewar Diop incarne une vision nouvelle et ambitieuse. Il défend un archivage moderne, numérique et accessible, mis au service du peuple et de l’État.

Dans cet entretien exclusif accordé à ArchivInfos, il dévoile les grandes lignes de son mandat. Parmi ses priorités : une Maison des archives intelligente, la digitalisation massive et la lutte contre le “vrac numérique”.

Il insiste aussi sur la valorisation du métier d’archiviste, pilier essentiel d’une gouvernance documentaire maîtrisée. Une vision audacieuse, alignée sur le projet “Sénégal 2050”, qui redonne aux archives la place qu’elles méritent : au cœur de la souveraineté nationale et du progrès social.

Mohamed Lat Sakhewar directeur des archives nationales du Sénégal en train de donner une conférence

Félicitations pour votre nomination à la tête des Archives nationales du Sénégal ! Quel a été votre ressenti en apprenant votre désignation à ce poste prestigieux, le 26 mars 2025 ?

Lorsque j’ai appris ma nomination à la tête des Archives nationales du Sénégal, j’ai ressenti une immense fierté. Fierté pour mon parcours académique, pour mon engagement de longue date dans les sciences de l’information. J’ai aussi ressenti de la fierté pour la confiance que m’accordent le Président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre, Ousmane Sonko.

Mais ce sentiment s’est vite mêlé à une profonde émotion. Car cette responsabilité, je la porte en pensant à tous ceux qui ont sacrifié leur vie pour le renouveau du Sénégal. Je ressens une dette morale envers leur mémoire. Réussir ce mandat, c’est aussi honorer leur engagement.

Diriger les Archives nationales du Sénégal, c’est bien plus qu’un poste administratif. C’est une mission de souveraineté, de mémoire et de transmission. C’est aussi une opportunité historique de restaurer un secteur stratégique, longtemps négligé. Sauf peut-être sous la vision précurseur du président Léopold Sédar Senghor, qui créa l’EBAD, la première grande école universitaire d’archivistique en Afrique subsaharienne.

Ma nomination traduit, je le crois, la volonté du nouveau gouvernement de replacer les Archives nationales au cœur du récit national. Notre pays, ancienne capitale de l’Afrique francophone, dispose d’un fonds documentaire exceptionnel, riche, diversifié et profondément structurant. C’est un trésor qu’il est temps de valoriser, de sécuriser et d’ouvrir à la Nation.

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Vous avez une carrière remarquable dans le domaine des sciences de l’information et de la documentation. Pouvez-vous nous retracer votre parcours et les expériences clés qui vous ont préparé à cette responsabilité ?

Mon parcours est avant tout le fruit de choix conscients, motivés par une passion profonde pour la gestion de l’information et le service à la Nation.

Après mon baccalauréat en Lettres au lycée de Mboro, j’ai d’abord été orienté à la Faculté de Droit de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Mais très vite, j’ai ressenti l’appel des métiers de l’archivage et de la documentation. Admis à l’EBAD, l’école pionnière en sciences de l’information documentaire en Afrique, j’ai renoncé au droit pour m’y consacrer pleinement.

Ce choix s’est révélé déterminant. Il m’a conduit à poursuivre mes études en France grâce à une bourse de mérite. À l’Université Toulouse-2 Le Mirail, j’ai obtenu une Licence Archives, suivie d’un Master en Ingénierie documentaire.

J’ai aussi obtenu un Master Recherche en communication organisationnelle à l’Université Lyon-2. Cette dernière étape a ouvert la voie à un doctorat en sciences de l’information et de la communication. Cette discipline est au croisement de la mémoire, de la stratégie institutionnelle et de la transformation numérique.

Avant ce cursus international, j’avais effectué des stages dans des institutions clés comme la RTS ou le MEPC. J’ai ensuite eu l’opportunité d’enseigner en France, où une carrière m’attendait. Mais un élan patriotique profond m’a poussé à revenir au Sénégal. Je voulais rendre à mon pays ce qu’il m’avait offert, et contribuer à moderniser l’archivage public.

C’est ainsi que j’ai été recruté, en janvier 2016, comme enseignant-chercheur au département Archives de l’EBAD-UCAD. Depuis, j’ai accompagné plusieurs projets d’archivage physique et numérique au Sénégal comme à l’étranger.

J’ai aussi occupé plusieurs postes de responsabilité, notamment à la tête des Départements de la Coopération et de la Communication, puis des Archives de l’EBAD, où j’ai pu développer une vision plus opérationnelle de la gouvernance documentaire au Sénégal.

Quel regard portez-vous sur l’évolution du secteur archivistique au Sénégal et en Afrique ces dernières années ?

Le domaine des archives est le parent pauvre de nos Administrations en Afrique. Pourtant, il constitue l’un des piliers invisibles, mais essentiels de toute gouvernance efficace et durable.

Pendant trop longtemps, les politiques publiques ont marginalisé les archives dans leur planification stratégique. Résultat : infrastructures vétustes, manque de personnel qualifié, absence de budget dédié, et surtout, un déficit de reconnaissance institutionnelle. Et pourtant, aucun progrès durable ne peut se construire sans une mémoire administrative, historique et socio-culturelle solide.

En comparaison, l’importance accordée aux archives publiques et privées en Occident est frappante. Ce contraste met en évidence le travail immense à accomplir pour revaloriser notre propre patrimoine documentaire africain.

Heureusement, une dynamique nouvelle est en marche. Le Sénégal, avec son nouveau gouvernement de rupture, commence à prendre conscience de l’importance de documenter son passé pour mieux orienter son futur. La commémoration récente du massacre de Thiaroye (décembre 2024) a marqué un tournant mémoriel fort. C’est le signe d’un réveil collectif.

Nous avons aussi une richesse culturelle trop souvent ignorée : nos traditions orales. Des mots comme waïndaré ou kâggu désignent, en Wolof, ces archives familiales sacrées, gardées avec respect depuis des générations. Ces pratiques prouvent que la culture de l’archivage existe déjà en Afrique, elle doit simplement être réhabilitée et renforcée.

L’évolution rapide du numérique, l’émergence de l’intelligence artificielle, et la dématérialisation croissante de nos administrations offrent aujourd’hui une occasion unique de repositionner les archives au cœur du système. L’avenir des archives sera numérique, structuré, sécurisé… ou ne sera pas.

C’est dans cette perspective que je milite pour la construction d’une Maison des Archives moderne et intelligente, digne des ambitions du Sénégal. Un lieu qui servira à la fois de centre de conservation, de formation, de médiation culturelle et de référence documentaire nationale.

En tant que nouveau Directeur, quelle est votre vision pour les Archives nationales du Sénégal ?

Ma vision pour les Archives nationales du Sénégal s’inscrit pleinement dans la dynamique de transformation portée par le projet « Sénégal 2050 ».

Le pays entre dans une nouvelle ère : celle de la souveraineté systémique. On parle déjà de souveraineté économique, énergétique, alimentaire… Il est désormais temps d’ajouter une autre dimension tout aussi vitale : la souveraineté documentaire et mémorielle.

Sans maîtrise de notre mémoire nationale, il n’y a ni continuité historique ni crédibilité institutionnelle. C’est pourquoi je défends une approche radicalement nouvelle dans la gestion de nos fonds archivistiques. Elle repose sur un principe fondamental : Jub, Jubël, Jubënti (droiture, rigueur et redressement en Wolof). Il doit s’appliquer pleinement à la gouvernance documentaire du Sénégal.

Notre objectif est clair : bâtir une politique d’archivage national ambitieuse et fédératrice. Cela passe par :

  • une reconstitution et un enrichissement méthodique de notre patrimoine archivistique,
  • une implication directe des collectivités territoriales dans la conservation locale des archives,
  • et une mobilisation de nos ambassades, consulats et représentations extérieures, où dorment encore de nombreux documents stratégiques, inaccessibles au public comme aux chercheurs.

Je crois profondément que cette nouvelle stratégie doit être pyramidale et multisectorielle, intégrant tous les niveaux de l’État :

  • administrations centrales,
  • collectivités,
  • institutions diplomatiques,
  • acteurs privés,
  • et partenaires étrangers.

Par ailleurs, une coopération archivistique Sud-Sud avec les pays voisins issus du même passé colonial s’impose. Elle permettra de rapatrier, partager ou dupliquer certains fonds dispersés à travers l’espace francophone. Des documents se trouvent encore dans des centres étrangers, notamment à Nantes, en France. Ils nous concernent directement et doivent revenir enrichir la mémoire de notre Nation.

Cette prise de conscience collective est la seule voie pour construire une mémoire souveraine, protégée, partagée, et tournée vers l’avenir.

Mohamed Lat Sakhewar nommé directeur des archives nationales du Sénégal

Les Archives nationales ont longtemps souffert d’un manque de moyens et d’une insuffisance de personnels qualifiés. Quels sont, selon vous, les principaux défis que vous devrez affronter dès le début ?

Les Archives nationales du Sénégal font aujourd’hui face à un ensemble de défis à la fois anciens et urgents. Ces défis sont multiples, mais ils ne sont pas insurmontables. Car pour la première fois, une volonté politique forte et assumée nous soutient à tous les niveaux. C’est un levier essentiel pour enclencher les réformes.

Notre feuille de route est claire, structurée, et alignée sur une ambition nationale de transformation documentaire. Elle repose sur plusieurs piliers :

  • l’élaboration d’une véritable politique nationale d’archivage, adossée à une stratégie globale de gestion documentaire ;
  • la construction d’une Maison des Archives moderne, écologique et smart, qui sera le cœur battant de notre système d’archivage national ;
  • la mise en place d’un réseau archivistique national pour couvrir l’ensemble du territoire : collectivités territoriales, gouvernances, services déconcentrés de l’État, chancelleries ;
  • la réforme des textes législatifs et réglementaires, pour les adapter aux exigences du numérique, de la dématérialisation et de l’intelligence artificielle, devenue incontournable dans la gestion des données publiques ;
  • la numérisation des fonds anciens, qui, faute d’entretien, sont aujourd’hui menacés par l’humidité, le temps, ou la simple négligence ;
  • la conservation et la structuration de notre mémoire numérique, produite quotidiennement par les administrations à travers courriers, actes juridiques, procédures digitalisées… Il faut éviter que cette mémoire ne devienne un “vrac numérique” incontrôlable.

Nous voulons également œuvrer pour la valorisation des archives et du métier d’archiviste. Enfin, le renforcement en ressources humaines qualifiées, en outils numériques, en moyens logistiques et en infrastructures est une condition essentielle pour garantir la réussite de cette transformation.

Notre ambition est de faire des Archives nationales un pilier moderne, fiable et stratégique du Sénégal numérique, en phase avec les défis du 21e siècle.

Le projet de la Maison des Archives est annoncé depuis plusieurs années sans acte concret. Pensez-vous qu’il serait possible de le réaliser dans un délai compatible avec vos programmes et idées de changements ?

Oui, je suis convaincu que la Maison des Archives du Sénégal verra le jour dans un délai réaliste et compatible avec nos objectifs de transformation. Ce n’est pas une promesse vague : c’est une priorité clairement inscrite dans l’agenda politique du nouveau gouvernement.

Le Président Bassirou Diomaye Faye a d’ailleurs déjà instruit ses ministres sur la nécessité de concrétiser ce projet d’infrastructure documentaire. Il est attendu depuis trop longtemps par les professionnels du secteur et le monde universitaire.

En tant que Direction des Archives nationales du Sénégal, nous avons désormais la responsabilité de porter ce projet avec rigueur, transparence et engagement. Sous la conduite du Premier ministre Ousmane Sonko, nous travaillerons en étroite collaboration avec les services concernés. Nous allons œuvrer pour que ce symbole de modernisation des archives publiques ne reste plus à l’état de projet.

La volonté politique est là, claire et assumée. Le financement, la programmation et la planification technique dépendront de notre capacité collective à faire de ce chantier une réalité.

Cette Maison des Archives moderne et connectée ne sera pas seulement un bâtiment administratif. Elle incarnera une nouvelle ère pour la mémoire institutionnelle du Sénégal, en la rendant accessible, protégée et valorisée à l’échelle nationale et internationale.

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Le nouveau gouvernement, composé en grande partie de jeunes, affiche une volonté forte de moderniser l’administration et de renforcer la gouvernance numérique. Comment les Archives nationales comptent-elles s’inscrire dans cette dynamique pour accompagner ces réformes et garantir une gestion efficace et pérenne du patrimoine documentaire du pays ?

Le nouveau gouvernement du Sénégal, jeune, ambitieux et tourné vers l’innovation, a clairement exprimé sa volonté de rompre avec les anciens modes de gestion. Cela concerne l’administration en général, mais aussi la manière dont nous traitons notre mémoire institutionnelle.

Pendant trop longtemps, la gestion des archives publiques a été reléguée au second plan. Cela change aujourd’hui. Nous évoluons désormais dans un environnement politique favorable à l’action.

Cette volonté d’accompagnement du sommet de l’État est notre plus grand atout. Elle nous donne les moyens d’agir, d’innover et de faire des Archives nationales du Sénégal un outil clé dans le processus de réforme de l’administration.

Ma mission est de concrétiser cette vision. Je crois que ma génération, plus à l’aise avec les outils numériques, les logiciels de GED et SAE, l’interopérabilité des systèmes et les exigences de la gouvernance numérique, peut incarner ce changement. Nous avons l’énergie, la fraîcheur et la compréhension des enjeux techniques pour réussir cette mutation.

Mais au-delà des outils, il s’agit avant tout de souveraineté documentaire. On ne peut construire une démocratie solide sans garantir :

  • l’accès à l’information,
  • la traçabilité des actes,
  • la transparence administrative,
  • et la redevabilité.

Et tout cela repose sur une gestion rigoureuse, sécurisée et durable des archives. Le Chef de l’État, Bassirou Diomaye Faye, et le Premier ministre, Ousmane Sonko, ont fait de cette transformation un pilier du projet « Sénégal 2050 ».

En tant que Direction des Archives nationales, nous avons le devoir d’en être le relais fidèle. Nous accompagnerons ce projet avec loyauté, engagement et avec le soutien de notre communauté professionnelle et universitaire.

Les Archives nationales ne seront plus un département de l’ombre. Elles deviendront un acteur central de la transformation de l’État, au service des citoyens et de la mémoire collective.

L’un des risques majeurs de la digitalisation est la constitution d’un “vrac numérique”. Quelle stratégie comptez-vous mettre en place pour éviter ce phénomène et garantir un archivage structuré et normé des documents numériques ?

Vous avez raison : la digitalisation non maîtrisée représente un risque réel pour nos institutions. Le phénomène de vrac numérique peut rapidement rendre nos archives numériques aussi inexploitables que si elles n’existaient pas.

C’est pourquoi, au sein des Archives nationales du Sénégal, nous intégrons cette problématique dès la conception de notre stratégie de digitalisation. Notre objectif n’est pas seulement de numériser massivement, mais de structurer et sécuriser chaque document produit par l’administration sénégalaise.

Nous réfléchissons à la création d’un Data Center national dédié aux archives. Ce centre de données serait chargé d’héberger l’ensemble des documents numériques et numérisés, dans des conditions conformes aux standards internationaux de conservation, d’indexation et de redondance.

Plusieurs pays dans le monde ont déjà franchi ce cap. Le Sénégal ne doit pas rester en marge. Ce projet d’envergure s’inscrit pleinement dans le New Deal technologique lancé par le gouvernement en février 2025. Il s’agit d’un chantier prioritaire, à la croisée des chemins entre mémoire nationale, souveraineté numérique et bonne gouvernance.

Notre vision repose sur un archivage électronique intelligent, soutenu par des outils de gestion documentaire, des normes de métadonnées, et une interopérabilité entre les plateformes de l’administration publique. Cela permettra d’éviter l’éparpillement et de garantir une traçabilité totale des documents numériques, à toutes les étapes de leur cycle de vie.

À terme, nous voulons bâtir un écosystème numérique cohérent, sécurisé et durable, au service des usagers, des chercheurs, des agents publics et de l’histoire du Sénégal.

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Le métier d’archiviste et de documentaliste est encore peu valorisé en Afrique. Comment comptez-vous sensibiliser et encourager l’État et les entreprises à recruter plus d’archivistes ?

Il est vrai que le métier d’archiviste, tout comme celui de documentaliste, reste encore trop peu valorisé dans nos sociétés africaines. Au Sénégal, même si une reconnaissance juridique existe, la perception du grand public et des décideurs reste floue, voire distante.

L’un des rôles clés des Archives nationales du Sénégal est justement de changer cette image, en menant des actions de sensibilisation ambitieuses, ciblées et régulières. Il s’agit de faire comprendre aux institutions, aux entreprises, aux collectivités que l’archiviste n’est pas un simple gardien de papier. Il est un acteur central de la transparence, de la gouvernance documentaire et de la mémoire collective.

Nous devons marteler que chaque document produit dans l’exercice d’une mission publique doit être bien classé, sécurisé et transmissible. C’est une obligation légale, mais aussi un impératif de bonne gouvernance.

Pour cela, nous comptons :

  • renforcer la communication institutionnelle sur les archives : campagnes médias, tribunes, interventions dans les écoles, vidéos explicatives sur les réseaux sociaux ;
  • institutionnaliser l’application de l’article 10 de la loi du 30 juin 2006, en généralisant la prestation de serment de l’archiviste pour lui conférer une légitimité renforcée ;
  • célébrer chaque année la Semaine internationale des Archives, en faisant un événement national avec expositions, débats, conférences et remises de distinctions ;
  • créer un Prix national de l’« Archiviste de l’année », pour récompenser les professionnels engagés et mettre en lumière les bonnes pratiques ;
  • valoriser les métiers de l’information documentaire dans les médias publics et privés, et surtout sur les réseaux sociaux, pour capter l’attention des jeunes générations.

En résumé, il faut recréer une culture de l’archivage dans la société sénégalaise en montrant que ce métier est stratégique.

Mohamed Lat Sakhewar dans son bureau

Quelles actions comptez-vous mettre en place pour améliorer la formation et les conditions de travail des professionnels du secteur au Sénégal, notamment dans les administrations publiques ?

La formation des professionnels des archives est un enjeu majeur, mais elle relève en premier lieu des ministères et structures de formation spécialisées. À notre niveau, au sein des Archives nationales du Sénégal, nous respectons pleinement le cadre des compétences institutionnelles. Notre mission première reste centrée sur la collecte, la conservation, la gestion et la sécurisation des documents d’archives stratégiques pour l’État et les citoyens.

Cela dit, nous sommes pleinement conscients que la montée en compétence des archivistes, en particulier dans les administrations publiques, est une condition indispensable pour assurer un archivage efficace, moderne et conforme aux normes.

C’est pourquoi nous restons entièrement disponibles pour accompagner, conseiller et collaborer avec toute structure publique ou privée souhaitant renforcer la qualité de la formation dans ce domaine. Cela pourra passer, par exemple, par :

  • la mise à disposition de stages pratiques dans nos services ;
  • la participation à des séminaires de renforcement de capacités, notamment sur des thématiques encore absentes des curricula traditionnels ;
  • la contribution à des modules d’enseignement ou d’expertise ciblée ;
  • la co-organisation d’ateliers, forums ou journées techniques sur les défis contemporains du métier.

Nous prévoyons également de renforcer nos liens avec les institutions de formation, à commencer par l’EBAD. J’y reste personnellement lié en tant qu’enseignant. L’EBAD est un pilier de la formation archivistique en Afrique francophone. Elle est une partenaire naturelle pour développer des contenus adaptés aux nouveaux défis (numérisation, gouvernance documentaire, intelligence artificielle…).

Enfin, nous serons ouverts à des accords de partenariat avec les associations professionnelles du secteur. L’objectif est de mieux structurer l’offre de formation continue et de favoriser une dynamique de montée en compétence durable.

À la fin de votre mandat, quels seraient les trois grands changements que vous aimeriez avoir apportés aux Archives nationales du Sénégal ?

Au terme de mon mandat à la tête des Archives nationales du Sénégal, j’aimerais pouvoir dire, avec conviction, que nous avons transformé durablement le paysage archivistique de notre pays.

Le premier changement que nous visons est la mise en place d’une politique nationale d’archivage cohérente, structurée et appliquée à tous les niveaux de l’État. Cette politique serait portée par des textes clairs, des normes unifiées et une stratégie nationale de gestion documentaire adaptée aux réalités numériques.

Le deuxième grand chantier est la construction d’une Maison des Archives moderne, intelligente et écoresponsable. Elle deviendrait le cœur physique et symbolique de notre mémoire nationale. Cet édifice représenterait un tournant majeur dans la revalorisation du secteur.

Troisièmement, nous souhaitons établir un maillage territorial des services d’archives. Nous allons créer des antennes régionales, départementales et communales dans les préfectures et collectivités locales. Ce réseau archivistique décentralisé permettrait une proximité réelle avec les citoyens et une meilleure collecte documentaire à la source.

À cela s’ajoute un objectif transversal : la numérisation, la classification et l’accessibilité des archives historiques. Ces archives seront consultables via une plateforme nationale en ligne, soutenue par un Data Center dédié. Cette infrastructure garantirait à la fois la conservation, la sécurisation et la diffusion intelligente de notre patrimoine.

Enfin, nous souhaitons ouvrir les portes des Archives nationales aux citoyens, aux communautés religieuses et aux familles. L’objectif est de leur offrir des services d’archivage sécurisé pour la conservation de leurs documents personnels. Car préserver l’histoire d’un pays, c’est aussi permettre à chaque citoyen de préserver la sienne.

Si ces transformations sont concrétisées, nous pourrons dire que nous avons rempli notre mission : moderniser, décentraliser et démocratiser l’accès à la mémoire sénégalaise.

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Avez-vous un message à adresser aux professionnels de l’information et de la documentation du Sénégal ?

Oui, j’ai un message clair et sincère à adresser à tous les professionnels de l’information et de la documentation du Sénégal.

Plus que jamais, le pays a besoin de vous. À l’heure où nous engageons une transformation en profondeur du système documentaire national, votre expertise, votre rigueur et votre engagement seront des leviers indispensables.

Aux côtés du gouvernement et sous la bannière des Archives nationales du Sénégal, nous comptons sur votre collaboration active pour relever les défis de notre temps :

  • revaloriser les métiers de l’information,
  • adapter les pratiques archivistiques aux nouvelles technologies,
  • renforcer les systèmes de gestion et de sécurisation des archives publiques,
  • et participer à la construction d’une mémoire nationale forte, inclusive et numérique.

Cette mission dépasse les murs des institutions. Elle appelle une mobilisation citoyenne, professionnelle, solidaire, autour des grands enjeux de souveraineté documentaire, de transparence administrative et de préservation du patrimoine commun.

Ensemble, faisons en sorte que notre métier, trop souvent oublié, retrouve la place stratégique qu’il mérite dans la construction du Sénégal de demain.

Pour conclure, si vous deviez résumer, en peu de mots votre ambition pour les Archives nationales du Sénégal, quels seraient-ils ?

En quelques mots, mon ambition pour les Archives nationales du Sénégal peut se résumer ainsi :

  • moderniser en profondeur la gestion et le management documentaire,
  • étendre et structurer un réseau archivistique solide et décentralisé,
  • valoriser la fonction d’archiviste auprès des décideurs et du grand public,
  • et replacer les archives au cœur du projet de transformation systémique “Sénégal 2050”.

Je reste confiant dans la volonté collective, la mobilisation des acteurs du secteur et l’adhésion des citoyens. Car pour réussir, nous devons agir en symbiose, en collaboration et avec un esprit patriotique. Ainsi, la mémoire du Sénégal pourra enfin être reconnue comme un levier stratégique de développement, de transparence et de souveraineté.

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