Valorisation du patrimoine africain : Thierry VIDEKE, le génie togolais qui redonne vie à l’héritage culturel

La valorisation du patrimoine africain est essentielle pour préserver la mémoire des peuples et leur permettre de se projeter vers l’avenir sans renier leur passé. En Afrique, de nombreux savoirs ancestraux africains et traditions sont toujours transmis oralement. Cette pratique menace leur pérennité face à la modernisation et aux mutations culturelles.

Comment assurer leur préservation et leur transmission aux générations futures ? C’est à cette mission essentielle que s’attelle Thierry Videke, informaticien et passionné d’histoire. Il le fait à travers son engagement pour la documentation et la valorisation des savoirs ancestraux africains.

Fondateur de WikiTatafrik, Thierry Videke contribue activement sur Wikipédia. Depuis plus de quinze ans, il milite pour une meilleure représentation des récits africains dans l’espace numérique. Son travail a été reconnu à plusieurs reprises, notamment lors de la Semaine des bibliothécaires africains et du Africa Day Challenge.

À travers cet entretien exclusif, il nous partage son parcours, ses défis et sa vision pour une Afrique qui écrit elle-même son histoire.

Thierry Videke, contributeur Wikipédia, qui œuvre pour la valorisation du patrimoine africain
Thierry Videke, fondateur de WikiTatafrik

Thierry, pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a conduit à vous engager dans la documentation et la valorisation du patrimoine africain ?

Je suis Thierry Videke, de mon vrai nom Kossi Evenunye Videke, informaticien et vidéaste togolais. Mon engagement pour la documentation du patrimoine africain est né d’un constat alarmant. Notre héritage culturel africain et nos traditions sont trop peu documentés et risquent de disparaître avec le temps. Dès mon plus jeune âge, j’ai été fasciné par les récits des anciens sous le baobab du village.

Leurs voix, pleines de mémoires et de sagesse, racontaient des richesses ignorées par nos manuels scolaires. En classe, on nous enseignait l’histoire de Napoléon et des Lumières, mais peu sur les grands empires africains comme le Mali ou le Songhaï. J’ai grandi en sachant réciter des poèmes de Victor Hugo, mais en entendant peu de récits des griots de chez moi.

Un jour, j’ai demandé à mon professeur des détails sur la participation des soldats africains à la Seconde Guerre mondiale. Il m’a répondu : « Ce n’est pas au programme. » Cette réponse m’a marqué et a renforcé mon désir de documenter et valoriser l’histoire du patrimoine africain.

J’ai vu des vieillards partir en emportant avec eux des connaissances inestimables liées à la valorisation du patrimoine africain. Leur savoir s’est perdu faute d’avoir été consigné et transmis. Avec le numérique comme outil, j’ai décidé de collecter, archiver et partager ces savoirs africains pour qu’ils ne disparaissent pas. Car si nous ne racontons pas notre propre histoire, qui le fera à notre place ?

Quels ont été les défis majeurs que vous avez rencontrés en tant que contributeur et promoteur des savoirs africains ?

Le premier obstacle a été l’absence de ressources financières et techniques pour héberger une plateforme documentaire pour la valorisation du patrimoine africain. Ensuite, les institutions africaines restent souvent réticentes à partager leurs archives, de peur qu’elles soient exploitées à d’autres fins. Mes efforts pour collaborer avec les Archives nationales afin d’obtenir des documents historiques sur nos ancêtres sont toujours en cours.

Cependant, l’organisation et la collecte des savoirs africains restent complexes. Les obstacles administratifs et matériels ralentissent le processus, mais n’ont en rien diminué ma détermination. Bien que cette méfiance soit compréhensible, elle constitue un frein important à la valorisation du patrimoine africain.

Mais le plus grand défi reste la méfiance des anciens eux-mêmes, dépositaires des savoirs ancestraux africains. Beaucoup hésitent à transmettre leur savoir, par crainte qu’il soit mal interprété ou déformé. Cette réserve est compréhensible, mais elle prive notre patrimoine africain d’une transmission intergénérationnelle essentielle.

Heureusement, les mentalités évoluent, des aînés, initialement réticents, réalisent peu à peu l’importance du partage de leur savoir. Grâce aux actions de sensibilisation, ils prennent conscience que la transmission de notre patrimoine est essentielle pour sa préservation.

Par ailleurs, les mentalités évoluent également chez les jeunes. De plus en plus de jeunes Africains prennent conscience de l’importance de préserver et de partager leur patrimoine culturel. Le numérique offre des solutions concrètes pour contourner les obstacles matériels et financiers. Les nouvelles technologies permettent une centralisation des savoirs africains, accessible et sécurisée.

Des initiatives numériques comme la mienne naissent. Elles ouvrent des perspectives prometteuses pour la préservation du patrimoine culturel à une échelle plus large.

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Vous êtes contributeur sur Wikipédia depuis plus de 15 ans. Comment évaluez-vous la représentation des savoirs africains sur cette plateforme aujourd’hui ?

Encore incomplète, mais en pleine évolution. Des initiatives comme « Noircir Wikipédia » ou « Afripedia » tentent de combler ce vide en encourageant la contribution africaine. Par exemple, Afripedia se distingue par son approche d’inclusion numérique. Elle fournit des ressources pour surmonter les obstacles liés à l’accès à Internet et à la rédaction sur Wikipédia.

En ce qui concerne « Noircir l’Afrique », elle vise à enrichir Wikipédia en mettant en avant les figures et événements afrodescendants souvent ignorés. D’autres initiatives existent également. Je peux citer par exemple :

  • Wiki Wake Up Afrique, qui cible spécifiquement les jeunes Africains à travers des ateliers et formations pour favoriser leur participation active.
  • AfroCreatives WikiProject + film, qui est un projet d’AfroCreatives WikiProject. Ces promoteurs ambitionnent d’améliorer les informations sur Wikipédia sur les sujets de l’art et de l’industrie du cinéma africain ;
  • Afrika Baraza, qui se distingue par son approche collaborative. Ils encouragent les échanges d’idées et la création de contenu en groupe.

 Ensemble, ces projets s’engagent à redéfinir la représentation numérique de l’Afrique, en offrant une voix authentique et inclusive à ses peuples.

Qu’est-ce qui vous a motivé à créer WikiTatafrik, une plateforme dédiée à la valorisation du patrimoine africain ? Et en quoi cette plateforme se différencie-t-elle de Wikipédia ?

L’Afrique subit une marginalisation persistante dans les récits historiques et culturels. Ces récits sont souvent façonnés par des perspectives externes, dont les critères ne reflètent pas toujours les réalités du continent. Cette situation est exacerbée par une faible représentation médiatique, limitant la diffusion d’un récit authentique et diversifié.

Wikipédia a des critères d’admissibilité qui ne reflètent pas toujours les réalités africaines. Par exemple, un savoir transmis oralement et non relayé dans des médias d’envergure peut être non pertinent.

Par contre, WikiTatafrik est né de la volonté de restaurer la voix africaine. Il met en lumière la richesse du patrimoine africain sous toutes ses formes. Il aide aussi les contributeurs externes à utiliser ses ressources comme références dans d’autres encyclopédies. La plateforme offre un espace participatif où récits, traditions et innovations sont documentés par ceux qui les vivent et les perpétuent.

Cependant, WikiTatafrik ne se positionne pas comme un concurrent de Wikipédia, mais comme un complément indispensable pour les contributeurs. Wikipédia peut parfois manquer d’informations fidèles sur les cultures africaines. WikiTatafrik apporte un éclairage spécifique en offrant un espace dédié aux réalités locales.

En permettant aux Africains de documenter leur patrimoine de manière authentique et contextualisée, la plateforme enrichit la documentation mondiale. Elle contribue aussi à une meilleure compréhension des savoirs africains, directement issus des communautés.

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Comment sélectionnez-vous les contenus à documenter sur WikiTatafrik ? Travaillez-vous en collaboration avec des chercheurs, des bibliothécaires ou des conteurs traditionnels ?

Oui, nous nous appuyons sur un comité éditorial composé d’archivistes, bibliothécaires, chercheurs, conteurs et de gardiens des traditions. Leur rôle est de garantir l’authenticité des contenus proposés librement par les contributeurs en édition collaborative. Nous sélectionnons les sujets en fonction de leur importance historique, culturelle et sociétale.

En 2022, j’ai perdu ma grande sœur, Mawussé Pamela VIDEKE, emportée par un cancer du sein malgré la chimiothérapie et les traitements pharmaceutiques. Cette perte m’a plongé dans un profond traumatisme. J’ai un cousin qui avait suggéré un traitement local pour ma sœur, une alternative malheureusement non explorée à temps.

Cette tragédie m’a poussé à réfléchir sur l’accès aux soins dans les hôpitaux et sur les savoirs médicinaux locaux. De janvier à mars 2023, j’ai mené une recherche en partenariat avec l’association AVIDI Togo. Ensemble, nous avons lancé le projet « Les remèdes botaniques traditionnels de Kpalimé : une approche alternative de la médecine ». Ce projet vise à documenter et valoriser les connaissances ancestrales en médecine africaine.

L’objectif était d’explorer comment ces remèdes pourraient compléter la médecine moderne. Ce projet a mobilisé une diversité d’acteurs passionnés :

  • herboristes et guérisseurs traditionnels de Kpalimé partageant leur savoir sur les plantes médicinales locales ;
  • botanistes et chercheurs en pharmacopée africaine qui ont identifié scientifiquement les plantes et analysé leurs propriétés ;
  • bibliothécaires et archivistes qui ont numérisé des manuscrits et ouvrages anciens sur l’ethnobotanique ;
  • contributeurs d’AVIDI Togo et moi-même avons structuré ces informations, en articles détaillés.

Grâce à cette collaboration, un savoir ancestral, autrefois transmis uniquement par oral, est désormais documenté. Il sera progressivement mis en ligne. Cette initiative ouvre la voie à une meilleure reconnaissance de la médecine traditionnelle africaine dans le monde scientifique.

Vous avez été primé lors de la 4e Semaine des bibliothécaires africains et à l’« Africa Day Challenge ». Que représentent ces distinctions pour vous ?

Elles confirment que notre travail est essentiel. Ces reconnaissances et distinctions ne sont pas juste des prix. Je les considère comme des encouragements à aller encore plus loin pour la valorisation du patrimoine africain. Elles ont aussi inspiré d’autres acteurs à s’engager dans cette mission fondamentale sur Wikipédia et sur d’autres plateformes de partage.

Conscient de la valeur des contributions africaines, j’ai formé de nombreux contributeurs au Togo et à l’international. Ces formations visaient à les aider à maîtriser la syntaxe MediaWiki pour contribuer efficacement. Ensemble, nous construisons une mémoire collective africaine, accessible et valorisée à l’échelle mondiale.

Avez-vous observé un impact concret de votre travail sur la perception des savoirs africains ?

Oui, nous avons observé un impact concret sur la perception et la valorisation de la culture africaine. De plus en plus d’universités et de chercheurs utilisent nos documents comme références académiques. Des médias africains s’en servent également pour diffuser des informations sur le continent. Cela contribue à une meilleure découverte des richesses africaines.

Des jeunes s’initient à la contribution collaborative et prennent conscience de la richesse de leur héritage africain.

Pouvez-vous nous parler des projets SISA et GRANDICUS chez TATAFRIK, et comment – ils contribuent à soutenir l’innovation et l’inclusion économique en Afrique ?

Chez TATAFRIK, nous développons deux projets majeurs : SISA et GRANDICUS, qui visent à soutenir l’innovation et l’inclusion économique en Afrique.

SISA est un événement annuel qui connecte les startups africaines avec des investisseurs pour financer des innovations locales. Son objectif est de créer un écosystème dynamique pour l’entrepreneuriat africain. Il vise à accélérer l’émergence de solutions adaptées aux réalités du continent. En facilitant l’accès aux financements, SISA libère le potentiel des entrepreneurs africains et stimule une croissance inclusive.

De son côté, GRANDICUS révolutionne le secteur informel en Afrique. La plateforme aide artisans et commerçants à intégrer le numérique dans leurs activités. Grâce à des outils adaptés, ils peuvent mieux structurer leur gestion, accroître leur visibilité et accéder à des marchés plus vastes.

Cette initiative renforce leur compétitivité, augmente leurs revenus et valorise leur savoir-faire local. En favorisant l’inclusion économique, GRANDICUS transforme le secteur informel en un levier de développement durable pour le continent.

Ensemble, SISA et GRANDICUS illustrent notre engagement à soutenir les talents africains. Qu’ils soient entrepreneurs innovants ou acteurs du secteur informel, nous leur offrons les moyens de prospérer. Ils contribuent ainsi au développement économique de l’Afrique.

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Thierry Videke dans une tenue traditionnelle pour la valorisation du patrimoine africain

Quelle est votre vision pour l’avenir de la valorisation du patrimoine africain ?

Je rêve d’un réseau panafricain de documentation où chaque village, chaque communauté peut contribuer à préserver son héritage. Un espace où nos archives traditionnelles et modernes se rencontrent pour écrire l’histoire de l’Afrique par les Africains.

Je souhaite créer un écosystème panafricain dynamique et interconnecté. Chaque archive, témoignage et tradition y serait protégé et célébré. Ces savoirs deviendraient accessibles à tous. J’imagine un réseau collaboratif rassemblant communautés locales, chercheurs, institutions et technologies numériques. Ensemble, ils uniraient leurs forces pour préserver les savoirs ancestraux. Leur objectif serait de diffuser cette richesse infinie.

Cet écosystème servirait de pont entre le passé et l’avenir. Les connaissances traditionnelles y seraient sauvegardées et enrichies par l’innovation moderne. Il permettrait à l’Afrique de partager ses trésors de sagesse avec le monde, tout en valorisant sa diversité culturelle et intellectuelle.

Cela donnerait naissance à des solutions de développement durable, profondément ancrées dans les réalités africaines. L’objectif ultime est de transformer l’Afrique en un centre mondial de savoir. Les jeunes générations devront puiser dans leur patrimoine pour construire un avenir solide, tout en préservant la sagesse. Une Afrique où le passé inspire l’avenir, et où chaque voix compte.

Comment les institutions africaines peuvent-elles soutenir la valorisation du patrimoine africain ?

Les institutions africaines ont un rôle essentiel à jouer pour valoriser et préserver le patrimoine africain. Tout d’abord, elles doivent faciliter l’accès aux archives, souvent méconnues ou difficiles d’accès. En parallèle, il est essentiel de financer des projets culturels innovants et de les intégrer dans les programmes éducatifs. Cela permettrait aux jeunes générations de s’approprier de leur histoire et identité.

Les universités, par exemple, peuvent former des étudiants aux techniques de documentation et de valorisation du patrimoine local. Elles peuvent créer des cursus spécialisés ou des laboratoires de recherche dédiés. Les bibliothèques, de leur côté, doivent moderniser leurs méthodes de conservation et de diffusion des ressources. Elles doivent investir dans la numérisation pour garantir une accessibilité pérenne.

Quant aux gouvernements, ils ont le pouvoir de mettre en place des politiques publiques ambitieuses. Ils peuvent simplifier l’accès aux archives nationales et soutenir les initiatives locales par des subventions ou des partenariats publics-privés.

Mais au-delà de ces actions, c’est une véritable synergie qu’il faut créer. Une collaboration active entre institutions, communautés locales et experts permettrait de construire une stratégie cohérente et durable. Cela ne se limiterait pas à protéger notre mémoire collective. Cela renforcerait aussi notre fierté culturelle et offrirait au continent une visibilité internationale accrue.

En somme, il s’agit de transformer notre héritage en un levier de développement et de rayonnement pour l’Afrique.

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Quels conseils ou messages inspirants souhaiteriez-vous partager avec les jeunes Africains désireux de contribuer à la valorisation du patrimoine africain ?

Soyez curieux, explorez votre culture, documentez-la et partagez-la pour assurer sa transmission et sa reconnaissance mondiale. Notre mémoire est notre force : si nous ne racontons pas notre propre histoire, elle se racontera sans nous. Alors, archivons, partageons et transmettons !

Pour ceux qui souhaitent contribuer à des plateformes collaboratives comme Wikipédia, je vous encourage à respecter les règles de vérifiabilité et de neutralité. N’oubliez pas de citer vos sources. Ces pratiques garantissent la crédibilité et la pérennité de vos contributions. En diffusant ces savoirs, vous participez activement à la préservation du patrimoine africain et à sa visibilité sur la scène mondiale.

Lecteurs d’ArchivInfos, passionnés de la préservation des savoirs africains, ensemble, nous avons le pouvoir de faire briller l’Afrique. Intégrez des communautés de contributeurs, échangez, apprenez et maximisez l’impact de votre travail. Valorisons nos savoirs en les partageant pour les générations futures. Archivons notre héritage pour aujourd’hui, pour demain, et surtout, pour que l’Afrique continue de rayonner à travers son histoire et sa culture.

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